

Depuis une dizaine d’années, la Chine connaît un véritable essor de la chirurgie plastique, un phénomène qui s’inscrit dans une évolution sociétale, économique et culturelle majeure. Longtemps marginalisée, la chirurgie esthétique est désormais perçue comme un levier d’amélioration personnelle, de réussite professionnelle et d’intégration sociale, notamment auprès des jeunes générations chinoises.
Derrière cette croissance exponentielle se cachent des tendances de fond, des chiffres impressionnants, des motivations profondes, mais aussi des enjeux sanitaires et éthiques. Plongée dans le boom de la chirurgie plastique en Chine, un marché devenu l’un des plus puissants au monde.
Selon l’ISAPS (International Society of Aesthetic Plastic Surgery), la Chine est aujourd’hui le deuxième plus grand marché mondial de la chirurgie esthétique, juste derrière les États-Unis. On y enregistre chaque année plus de 20 millions de procédures, dont une grande partie concerne la tranche d’âge des 18-30 ans.
Les grandes métropoles comme Pékin, Shanghai, Guangzhou ou Shenzhen concentrent le plus grand nombre de cliniques et de patients. Mais la tendance se propage également dans les villes moyennes, accompagnée d’une digitalisation massive du secteur.
En Chine, 90 % des patient·es en chirurgie esthétique sont des femmes, souvent âgées de 18 à 30 ans. Ce phénomène est étroitement lié à la culture numérique et à la pression sociale.
Les réseaux sociaux chinois comme WeChat, Weibo, Xiaohongshu ou Douyin (équivalent chinois de TikTok) regorgent de contenus vantant les bienfaits de la chirurgie esthétique. Les influenceuses, appelées « beauty bloggers » ou « live streamers », montrent sans complexe leurs interventions avant/après, normalisant ainsi ces pratiques auprès de millions d’abonnés.
Dans une société fortement compétitive, notamment sur le marché du travail et du mariage, l’apparence physique est perçue comme un capital. Pour beaucoup de jeunes femmes, la beauté est un investissement rationnel.
Aussi appelée « chirurgie du double pli palpébral », elle est extrêmement populaire en Asie de l’Est. Elle consiste à créer un pli sur la paupière supérieure afin d’agrandir le regard et de le « rendre plus occidental ».
La chirurgie du nez vise à affiner, relever ou redresser un nez jugé trop plat ou épaté. Il s’agit souvent d’une rhinoplastie d’augmentation avec insertion d’implants.
Un menton plus avancé est associé à un visage harmonieux et une beauté conforme aux standards actuels. Cette intervention est fréquemment combinée à une rhinoplastie dans une démarche de profiloplastie.
Bien que moins fréquente qu’en Occident, elle connaît une croissance constante, notamment chez les femmes trentenaires.
Techniques visant à affiner le visage (réduction de la mâchoire, élimination de la graisse buccale, injection de botox dans les masséters) pour obtenir une forme en V, considérée comme idéale.
Très demandées pour traiter les rides, repulper les lèvres, remodeler le nez sans chirurgie ou rehausser les pommettes.
Les plateformes comme So-Young (新氧), Gengmei (更美) ou Meituan Medical permettent aux utilisateurs :
Ces applications agissent comme de véritables marketplaces de la chirurgie esthétique, contribuant à sa banalisation et à sa consommation de masse.
Le culte de la blancheur et de la jeunesse
Dans la culture chinoise, la peau blanche, les traits fins, la jeunesse et la minceur sont depuis longtemps associés à la beauté et au statut social élevé. Ces critères se retrouvent amplifiés par la publicité, les dramas coréens, les standards de la K-beauty (beauté coréenne) et les filtres numériques.
Le poids des parents et du regard social
En Chine, la pression familiale peut jouer un rôle dans le choix de recourir à la chirurgie. Il n’est pas rare qu’un parent offre une opération à sa fille pour augmenter ses chances de trouver un emploi ou un mari.
Contrairement à d’autres pays où les patients voyagent à l’étranger, la Chine voit émerger un fort tourisme esthétique intérieur. De nombreuses cliniques se trouvent dans les villes secondaires ou les zones frontalières comme Chengdu, Chongqing ou Harbin, connues pour offrir des prix plus abordables que les grandes villes.
Les patientes voyagent ainsi dans leur propre pays pour bénéficier de chirurgies à moindres coûts, souvent dans des complexes combinant soins et hébergement.
Avec plus de 80 000 cliniques recensées, dont une partie fonctionne sans autorisation officielle, le secteur de la chirurgie plastique en Chine est marqué par un manque de régulation.
Problèmes identifiés :
L’État chinois tente de reprendre le contrôle via des lois plus strictes, des inspections sanitaires, et la publication de « listes blanches » de cliniques autorisées. Toutefois, la demande croissante continue de stimuler un marché parallèle non régulé, notamment dans les campagnes.
Avec la montée en puissance des applications de retouche et des selfies, de nombreux jeunes souffrent de dysmorphophobie ou de troubles de l’image. La chirurgie devient alors une tentative de corriger un malaise intérieur plutôt qu’un véritable défaut.
La beauté est perçue comme un avantage concurrentiel, aussi bien dans la sphère professionnelle que personnelle. Le marché du mariage, en particulier, est très exigeant, avec des critères physiques très stricts sur les plateformes de rencontres.
Certains jeunes adultes enchaînent les interventions dès l’âge de 18 ans, espérant atteindre un visage « parfait », souvent irréaliste. Des psychologues chinois alertent sur une forme de « plastic addiction », entraînant une perte d’identité.
Les stars chinoises, coréennes ou japonaises sont omniprésentes dans les médias. Leur apparence souvent irréprochable est devenue un modèle pour toute une génération. Certaines ne cachent pas leurs opérations, ce qui décomplexe la chirurgie et l’inscrit dans une logique de conformité sociale.
L’univers du cinéma, de la télévision, des concours de beauté et de la K-pop renforce également ces normes, en particulier chez les adolescentes.
La Chine investit massivement dans :
Par ailleurs, un nouveau courant émerge : celui de la « natural beauty », prônant une beauté plus subtile et moins artificielle, face aux excès du passé.
Le boom de la chirurgie plastique en Chine illustre à quel point l’esthétique peut devenir un enjeu économique, identitaire et culturel. Entre désir de perfection, pression sociale, influence des réseaux et croissance économique, ce phénomène témoigne des profondes mutations de la société chinoise contemporaine.
Si la chirurgie esthétique est désormais largement acceptée et encouragée, elle pose aussi des questions éthiques, notamment sur l’impact psychologique, la marchandisation du corps et les dérives possibles en l’absence de régulation stricte.
Dans un pays où l’image vaut de l’or, la beauté est devenue bien plus qu’une question de goût : elle est un passeport vers la réussite.